Un livre bien écrit, une plume riche, truffée d'imaginaire, criante de folie parfois, toujours interpellante dans sa vision de l'horreur ou sa grande tendresse.
Un recueil de nouvelles, unies dans un même fil, c'est beau, c'est fluide, c'est génial pour qui n'aime pas vraiment les nouvelles.
Un récit de contes noirs à souhait, le Diable nous frôle à chaque page, d'un souffle, d'un doigt. Et pourtant, on en redemande, car le Diable a parfois de ces bontés qui nous laissent pantois.
Et on apprend que c'est le prolongement moderne d'un manuscrit ancien du XIVème siècle, inachevé pour cause de mort de l'auteur Geoffrey Chaucer. Une suite sombre, effrayante, tellement humaine finalement que le tout semble naturel dans son étrangeté bien glauque.
« Cher étranger, on franchit plus allègrement et bien plus rapidement les siècles et les millénaires que les lieues en songeant à Dieu, qui fit l'espace et non le temps, et il y a plus loin de Southwark à Canterbury que de l'an mille à l'époque où se situe la vie actuelle. »
« Heureusement, aux créatures idéalement plates les peines et les souffrances des êtres à trois dimensions sont épargnées, et je n'éprouvai ni goûts de révolte ni désirs de vengeance. »
« Le rose n'est pas une couleur, c'est le bâtard du rouge triomphant et de la lumière coupable ; né d'un inceste où l'enfer comme le ciel ont joué un rôle, il est resté la teinte de la honte. »
« La quête fut belle malgré le peu de monde ; la pauvre petite loque humaine où palpitait la divine étincelle de la vie apportait un grand frisson de douceur parmi ces cœurs trempés à la peine des jours. »
« La lumière s'était soudain figée… et sur l'écran azuré de l'Infini se profilait, immense, radieuse, taillée dans le flanc ardent de mille soleils… une bouteille de whisky ! »
« Un bout de biscuit de mer dur comme pierre, un petit morceau de lard rance, un litron de soupe et un pot de lavasse baptisée thé ou café, au caprice du cuisinier, étaient dévolus comme ration quotidienne. Deux fois par semaine une écuelle de pois chiches, de riz éventé ou de lentilles rouges parsemées de cadavres de cancrelats, corsait cet horrible menu. »
L'auteur, belge, il faut le dire, manipule la langue de Molière en lui donnant des accents de celle de Shakespeare et c'est d'un charme fou même si les sujets abordés sont des plus terrifiants. J'ai adoré !
Mercie à Babelio et Masse Critique pour cet ouvrage superbe par le fond, la forme et l'objet.