Magnifique, c'est un peu court et pourtant, comment décrire une lecture si riche, si vivante, où le merveilleux sans cesse renouvelé côtoie si bien les jalousies les plus basses.
Magnifique, toujours, cette plume qui s'élève, se déchaîne dans un océan de toiles, de dentelles, de soie, se distrait parfois dans quelques dialogues bien sentis d'une société bien choisie où tous les genres se retrouvent.
Magnifique, cette montée en puissance qui de pages en pages s'envole en lumière vers l'apothéose tandis qu'autour c'est la débandade, tout s'effiloche, tout meurt dans l'obscurité la plus noire.
Magnifique, ces personnages si bêtes, si méchants, si pleins de cette envie humaine de toujours manger l'autre, le plus haut, le plus puissant pour être finalement à leur tour mangés.
Magnifiques, ces femmes si naïves, si avides, si avisées parfois qu'un bibelot met en transe, qu'un calicot transporte, qu'un arc-en-ciel de couleurs émerveille, que le mot solde rend folles.
Magnifique, ce bazar qui grandit au fil des pages, qui se modernise même dans ses cuisines et qui, de petite boutique spécialisée se transforme en un monstre magnifique dédié à la femme et ses envies toujours changeantes, toujours renouvelées.
Magnifique enfin, cet amour impossible, unique et pur qui s'épanouit lentement aux détours des comptoirs, des escaliers, des ponts volants et ce, malgré la médisance, les ragots malsains et les vilenies les plus basses.
Magnifique aussi ce travail de recherche de l'auteur, pour être au plus près de cette révolution commerçante que sont l'éclosion des bazars au détriment des petits commerces dédiés. Sans nous noyer dans des détails superflus, il nous expose froidement le calcul de la réussite tout en nous dévoilant avec la palette infinie de la poésie la beauté époustouflante qui se dégage de l'art de la présentation qui éblouit et excite toutes les femmes au point parfois de leur faire perdre la tête.
Magnifique, cette explosion d'odeurs, de couleurs, de sentiments et d'images dans lequel ce roman m'a tout entière plongée au point que le mot fin m'a semblé trop rapide, j'en voulais encore...
« L'art n'était pas de vendre beaucoup, mais de vendre cher. »
« Et elle ne put s'empêcher de rire, tant l'idée lui parut singulière. Ce fut une transfiguration. Elle restait rose, et le sourire, sur sa bouche un peu grande, était comme un épanouissement du visage entier. Ses yeux gris prirent une flamme tendre, ses joues se creusèrent d'adorables fossettes, ses pâles cheveux eux-mêmes semblèrent voler, dans la gaieté bonne et courageuse de tout son être. »
« C'était un gouffre, on y engloutissait en un jour seize hectolitres de pommes de terre, cent vingt livres de beurre, six cents kilogrammes de viande ; et, à chaque repas, on devait mettre trois tonneaux en perce, près de sept cents litres coulaient sur le comptoir de la buvette. »
« Crever pour crever, je préfère crever de passion que de crever d'ennui ! »
« C'était par un instinct du bonheur qu'elle s'entêtait, pour satisfaire son besoin d'une vie tranquille, et non pour obéir à l'idée de la vertu. Elle serait tombée aux bras de cet homme, la chair prise, le cœur séduit, si elle n'avait éprouvé une révolte, presque une répulsion devant le don définitif de son être, jeté à l'inconnu du lendemain. L'amant lui faisait peur, cette peur folle qui blêmit la femme à l'approche du mâle. »
« Quand des calicots se mettent à vendre des savons et des galoches, ils peuvent bien avoir l'ambition de vendre de vendre des pommes de terre frites. Ma parole, la terre se détraque ! »
Pour le plaisir, je ne peux m'empêcher de vous faire partager ces quelques mots de Zola concernant ce roman :
« Là apparaît le côté poème du livre : une vaste entreprise sur la femme, il faut que la femme soit reine dans le magasin, qu'elle s'y sente comme dans un temple élevé à sa gloire, pour sa jouissance et pour son triomphe. La toute-puissance de la femme, l'odeur de la femme domine tout le magasin. Et l'idée commerciale d'Octave est là, plus ou moins consciente et affichée. »
Et c'est parfaitement réussi, un vrai coup de cœur, j'ai adoré :-)